Fragments (extrait n°2)
Tout ce qui est écrit dans cet ouvrage n’est peut-être destiné qu’à illustrer, dépasser, assumer, oublier cette simple assertion : tout passe.
***
Aout.
Mon regard s’attarde sur le ciel bleu et pur.
Quelques oiseaux, soudain, font leur apparition.
Tels des fusées de feux d’artifice, ils s’élancent vers l’immensité et leur ballet ne semble s’exécuter que pour moi.
Leurs ventres tout blancs brillent dans le ciel comme des étoiles filantes.
J’inspire alors plus profondément pour imprimer ce moment dans mon cœur.
Il est bon d’avoir un tel album à feuilleter en cas de jours plus sombres.
Garder en soi, toujours, une petite lumière de secours.
***
Le train du retour.
Nice-Bordeaux.
Automne.
19h30.
La nuit, déjà.
Les lumières au loin.
Reflets sur les vitres, jeux de miroirs.
Un jeune couple devant moi.
Elle lit.
Je n’arrive pas à voir le titre de l’ouvrage.
Lui consulte une brochure d’un « master d’océanographie » de l’Académie d’Aix Marseille.
Une annonce indique qu’en raison d’un dommage causé sur la voie après Toulouse, il y aura un retard important pour tous ceux qui se rendent à Bordeaux.
Le couple sourit, soulagé.
Ils ne sont pas concernés.
Il a rangé sa brochure puis mis des écouteurs dans ses oreilles.
Elle poursuit sa lecture.
Il fixe du regard la petite table devant lui sur laquelle il a déposé quelques papiers ainsi que son portable.
Elle lui caresse la main, puis le dos.
Il bouge soudain et se redresse.
Elle retire brusquement sa main.
Pendant quelques secondes, son livre n’est plus posé sur sa jupe.
Je distingue enfin le titre : « l’art de la fugue ».
Elle lui demande si ça va.
Il ne répond pas.
Elle l’embrasse au coin des lèvres.
Il lui sourit, puis, sans la regarder, il passe sa main derrière sa nuque et ramène sa tête au creux de son épaule.
Elle ferme les yeux.
Il lui répond : ça va.
***
Mémé avait souvent mal au dos.
Un jour, je l’ai prise dans mes bras et l’ai soulevée.
Elle a crié.
Je m’en suis voulu.
Aujourd’hui encore, il m’arrive de croire que je suis à l’origine de son mal, qu’elle n’a jamais voulu m’en parler.
Ce jour là, peut être avait elle encore plus mal que d’habitude.
C’était sûrement un jeudi, jour de marché sur la place du village.
Elle prenait toujours son vélo pour s’y rendre.
Un vélo qui allait lentement.
Elle le posait contre un arbre puis faisait le tour des commerçants.
J’aimais la suivre dans cette déambulation.
Elle avait un petit mot gentil pour chacun.
Elle était fière de me présenter.
Nous passions du maraîcher au boulanger puis du boucher au fromager.
Mes narines frémissaient et se régalaient de toutes ces saveurs.
Parfois, elle rencontrait une amie et se mettait à discuter quelques minutes qui me paraissaient des heures.
Je trépignais.
Lorsqu’il fallait partir, les sacoches étaient trop petites pour contenir toutes les victuailles.
Mémé déployait alors des trésors d’ingéniosité pour caler les différents achats de façon à ce que rien ne tombe durant le retour.
Ce jour là, je n’étais pas à ses côtés.
Elle est rentrée du marché, a déposé les courses sur la table de la cuisine.
C’était un jour banal.
Elle a rangé son vélo sans savoir que c’était la dernière fois de sa vie qu’elle l’avait utilisé.
Un basculement s’était produit, imperceptiblement.
C’est ainsi, nous vivons parfois des événements sans que l’on s’en aperçoive.
Des adieux se cachent derrière les au-revoir.
Un jour banal ne l’est jamais tout à fait.
Puisque tout peut s’arrêter
Comme ça, en quelques secondes
A la terrasse d’un café
Un soir, au milieu du monde…
Vivons !
***
C'est en fermant les yeux,
Accueillant le silence,
Que je retrouve un peu
Le chaud de ta présence.
***
Une petite maison, au bord de l’océan.
Le strict nécessaire.
Une table pour écrire et manger.
Un fauteuil, des livres.
Le matin, je me lèverai tôt, pour aller marcher, quel que soit le temps.
Pour respirer.
Pas une respiration discrète, honteuse comme aujourd’hui, mais une respiration qui embrasse la nature.
Une respiration assumée.
De retour, j’écrirai pendant 4 ou 5 heures.
Puis j’irai chez Marie-Annick qui tient une épicerie nichée au milieu d’une petite ruelle.
Je discuterai avec elle des dernières nouvelles de l’île et du continent.
Après déjeuner, je lirai et je ferai une petite sieste.
Ensuite, je bricolerai.
Je ne suis pas manuel mais je sens que j’aurai besoin que mes mains touchent, sentent, se blessent, que s’impriment sur elles mon rapport avec la matière.
Je pense à une vieille barque à retaper, je demanderai conseil à un des vieux marins du voisinage.
J’écrirai ensuite jusqu’au crépuscule.
Après dîner, je repartirai faire un tour de l’île pour observer les lumières des foyers qui s’allument les unes après les autres. J’observerai les ombres derrière les fenêtres, j’imaginerai les vies des habitants, leurs conversations.
Je serai heureux, emmitouflé dans mon coupe-vent, de ressentir cette chaleur derrière les carreaux en me disant que bientôt je retrouverai la mienne.
Au retour, je lirai et au bout de quelques minutes, je serai distrait par le sifflement du vent.
Je reprendrai ma lecture et mes paupières, petit à petit, se feront plus lourdes.
Alors, je m’endormirai, bercé par la rumeur de l’océan.
***
A l’orée du sommeil
Les masquent tombent et pleurent
Et si part le soleil
Il reste encore les heures
Alors vient la cohorte
Renoncements, regrets
Cachés derrière la porte
Le temps d’une journée
La bataille commence
Violente, impitoyable
Nus, dans cette démence
Nous nous sentons minables.
On comprend qu’on ne peut
Rejouer le passé
Revenir sur les lieux
Naître et recommencer
Alors on se délivre
La rage devient force
Un appétit de vivre
Au présent se renforce
C’est là qu’il peut venir
Comme un souffle en douceur
Nous bercer, nous cueillir
Embrasser notre cœur.
(A suivre...)