Les océans intérieurs
Ici, commençait le bout du monde.
J’aime la fin des terres.
Le panorama des possibles s’y incarne.
Voyageurs solitaires, exilés, fuyards en tout genre, mosaïque d’une humanité au bord de soi-même, de ses rêves comme du monde.
Ce jour maudit d’avril me hante si tu savais.
Je t’ai quitté et aujourd’hui je ne reconnais pas l’homme qui a bien pu faire cela.
Je t’écris chaque jour depuis cette date.
Il me fallait un paysage pour mon chagrin et mes regrets.
Quelque chose d’immense, à leur mesure.
Qu’il pleuve, bon sang ! dit-il, accoudé à la fenêtre du living room de cet hôtel de béton.
C’est si beau la pluie ici…puis voyant que je l’observe et me prenant à témoin : c’est comme les vêtements, il y a des gens…tout leur va…et bien cette baie là, tout lui va…mais moi, je la préfère habillée de pluie.
L’homme poursuit son soliloque pendant que mon regard se fixe sur un bateau, au loin, en train de tanguer.
Je décide de sortir et de marcher quelques heures, gravir cette petite montagne postée comme en vigie de tout un continent.
Aujourd’hui, tout à coup, je comprends pourquoi je suis venu ici, dans cette baie des Aiguilles et je réalise que l’on ne peut fuir certaines choses ou plutôt que ces choses fuient avec nous.
En équilibre précaire sur un monticule herbeux, j’observe ce point de rencontre de l’océan atlantique et de l’océan indien.
Le courant des Aiguilles et le courant de Benguela qui n’en finissent pas de se confondre mais dont le point de rencontre ne peut jamais être précisément définit.
Feux follets joueurs, insolents qui passent leur temps à se chercher tout en ne cessant jamais de se mêler.
J’observe ce miracle permanent.
Le bateau a disparu mais quelque chose continue de tanguer en moi.
Tous ces contraires avec lesquels nous devons composer et, sans cesse, nous réinventer.
Ce jour-là, devant cette baie, j’ai voulu faire la paix avec mes océans intérieurs.
Alors j’ai crié, oui, j’ai crié ma peine, ton prénom, ta mémoire, ta beauté, ma bêtise, mon amour, ma solitude, mon espoir, ma joie.
J’ai crié.
Je suis encore vivant.
Alexandre LABORIE