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Il était une fois…
C’est comme ça que vous dites, je crois ?
Pour raconter vos histoires.
Je voudrais vous raconter la mienne.
A vous, que je regarde de loin, un peu jalouse je dois dire.
Jalouse de vos histoires justement.
Je les trouve fabuleuses même dans leur passage les plus sombres.
Elles respirent la vie, la mort, la révolution, le bruit, les fêtes.
Vous êtes riches, vous êtes de belles villes riches.
Riches de ces millions de cœur qui battent en même temps.
Vous ne l’entendez pas cette musique ?
« Ta-tan », « ta-tan », « ta-tan », la musique des cœurs qui battent.
Et le matin, ces reflets d’aube rose qui vous recouvrent, ils sont comme un sang qui jaillirait dans vos veines pavées.
L’été, sur une de vos places, sous un tilleul, il y a toujours des rires qui vous chatouillent, des confidences qui vous caressent.
Moi, j’étais un champ recouvert d’herbes folles, de plantes et d’arbres.
Le vert de leur feuillage, par la grâce du soleil, m’offrait toute une palette de nuances, chaque jour renouvelée, qui faisait mon bonheur.
J’étais libre, je jouais avec le vent.
Mon ami le vent.
Puis, un jour, il est arrivé.
L’Aigle, c’est comme cela qu’ils l’appellent.
Mais il n’a rien d’impressionnant.
Il est tout petit, à côté de ses immenses gardes serviles qui lui donnent du « Monseigneur » ou du « maître » à s’en assécher la gorge.
En quelques secondes, mon sort était scellé : je deviendrai sa chose, sa ville, sa vitrine.
Dès lors, tout s’est emballé, il fallait s’activer puisque l’Aigle l’avait décidé.
Des machines monstrueuses sont venues arracher mes arbres.
Mon âme, petit à petit, a été recouverte par le marbre des pavés des longues rues désertes.
Mon ami le vent avait disparu, aucun habitant n’avait rejoint la ville.
Tout était figé.
Une fois par an, l’Aigle revient accompagné d’une foule plus importante d’admirateurs.
Je deviens alors une sorte de cathédrale où l’on vient l’adorer.
Des bus venus de tout le pays conduisent une foule qui ne restera ici que quelques heures, contrainte et forcée.
L’Aigle parade, quelques photographes officiels prennent des clichés qui feront le tour du monde.
Il faut montrer au monde à quel point l’Aigle est aimé par son peuple, à quel point son peuple lui ait reconnaissant de lui avoir construit une si belle ville.
Puis tout le monde repart.
Le plus important, c’est de ne pas oublier nos rêves, ce que nous sommes vraiment.
Ne pas se trahir.
Ils m’ont transformé en ville mais je ne serai jamais une ville.
Je resterai un champ.
Sous les pavés de marbre bien dessinés, subsistent encore des cailloux.
J’ai remarqué, avec le temps, que par la force de ma pensée, mon esprit pouvait faire bouger les choses.
Soulever discrètement un pavé, libérer un caillou, puis deux, puis cent, puis des milliers.
Un jour, l’Aigle ne reconnaitra plus ses rues.
Il se retrouvera coincé dans une impasse.
Je commencerai ma révolution toute seule.
Quelques cœurs battants me rejoindront peut-être et tous ensemble, nous chasserons l’Aigle et ses gardes du corps loin d’ici.
Les herbes folles se libéreront.
Elles envahiront de nouveau l’espace.
Les arbres se remettront à pousser.
Et moi, je retrouverai mon ami le vent.
Alexandre LABORIE