Fragments (extrait n°4)
Le livre n’a pas bougé depuis de longues années.
Je l’ai toujours vu sur la petite étagère de la maison océan que je loue chaque été.
Je l’ai souvent regardé, envisagé, mais jamais je ne m’en suis saisi pour le lire.
Jusqu’à ce jour de juillet où, en toute fin d’après midi, j’ai eu envie de le glisser dans mon sac à dos avant de partir pour la plage.
Assis sur le sable, je l’ai ouvert délicatement et je l’ai respiré.
Il avait une odeur de grenier, de vieux tapis poussiéreux surpris par un rayon de soleil.
Tenant fermement le dos du livre, j’ai fait défiler les pages à toute allure et respiré cette odeur du temps figé.
Puis j’ai commencé ma lecture, lentement.
Page après page, j’avais le sentiment de faire entrer l’océan entre chaque ligne, d’offrir à chaque mot, une bouffée d’iode et d’horizon.
Le livre respirait de nouveau, il était comme un cœur battant entre mes mains.
Je prenais mon temps, relisais certains paragraphes.
Au cours de ma lecture, je me suis demandé qui avait lu ce livre avant moi, quel regard s’était posé sur ces pages, quel cœur avait été sensible à l’histoire qui y était racontée.
J’étais convaincu que le livre était aussi porteur de l’histoire des précédents lecteurs et, presque intimidé, je me disais que je m’inscrivais dans cette chaîne humaine.
J’ai refermé le livre, tard dans la nuit.
Je l’ai respiré une dernière fois.
Puis, délicatement, je l’ai remis à sa place, dans l’étagère.
(A suivre...)