L'évidence (éditions Cheminement -PREtexte)
« Je ne peux donner de moi, de mon moi tout entier, nul autre échantillon, qu’un système de fragments, parce que je suis moi-même quelque chose de semblable. » Frédéric Schlegel. Passionné de poésie classique et contemporaine, auteur de chansons et de poésies. A de nombreuses reprises, j’ai collaboré avec France musique : participation à une composition littéraire originale de 4 cycles poétiques sur le thème de « la vie » à partir de l’oeuvre 'MLÀDI' du compositeur Leos JANACEK puis lecture de certains de mes textes dans le cadre de l’émission « les contes du jour et de la nuit » de Véronique SAUGER. J’aime travailler avec des artistes aux univers très différents. Avec les musiciens Lucas Mazeres et Guillaume Itié de la « Compagnie Écoutez Voir », j’ai ainsi participé à la création de « la Planète blanche », conte musical dont j’ai écrit le livret. J’ai publié un recueil de poésies en 2010 (L’Evidence - éditions PREtexte). Certains de mes textes ont également l’objet de publications diverses (revue de poésies, ouvrages collectifs des éditions « Épingle à nourrice »). Bienvenue à toutes et à tous!
Je l’aimais, cette photo.
J’en étais fier.
Je voulais la montrer à tout le monde, la brandir, la publier.
Elle était comme une preuve.
La preuve que cet amour existait, respirait.
D’ailleurs, c’était très curieux, le cliché n’avait pas figé ce souffle, on pouvait le percevoir dans chaque pixel.
C’était une photo vivante, une heureuse surprise.
L’image d’un rêve qui s’était fait chair.
C’est peut être pour cela que j’étais devant elle comme un enfant impressionné par l’histoire qu’on lui raconte.
Mais cette histoire était la nôtre et elle était vraie.
Nous étions couchés sur le sable de cette vaste plage.
Tu avais le bras tendu vers moi et ta main était cachée par la mienne qui la plaquait contre ma poitrine.
Je ne sais plus si j’avais pris ta main ou si c’est toi qui me l’avais donnée.
J’imagine un peu des deux !
Le soleil avait été bien généreux ce jour là et nous profitions de ses ultimes et fragiles rayons.
Un petit vent frais soufflait, mais le sable s’était réchauffé à notre présence et ta main alimentait mon cœur et tout mon corps d’une chaleur discrète, attentive.
Alors, j’ai fermé les yeux.
Et j’ai pensé que j’étais heureux.
Puis, le temps a passé, le travail a repris, les journées sans surprise, avec leurs gestes répétés, assimilés, accomplis à la perfection.
Mais tout était différent, grâce aux douces parenthèses, au milieu de la semaine, où nous nous retrouvions.
J’aimais arriver chez toi.
Prendre quelques secondes avant de sonner.
Le temps de sentir ta présence derrière la porte, de distinguer une musique, de t’imaginer dans ton appartement, occupé à ranger quelques affaires
dans le salon, à arroser tes plantes sur la terrasse, à prendre une douche.
J’avais un peu peur de venir perturber ce quotidien.
Parfois, la minuterie du couloir s’arrêtait et me plongeait dans le noir.
J’avais l’impression d’être sur scène avant que le rideau ne se lève et j’aimais ce mélange de trac et d’excitation.
Mais aucun rôle ici, pas de texte appris par cœur.
Juste un instinct, un désir.
La porte s’ouvrait.
Nous étions acteurs et spectateurs de nos retrouvailles.
J’aimais cette manière que nous avions de nous jauger, de nous regarder nous avancer l’un vers l’autre, sourire en coin, comme si nous voulions feindre un certain détachement devant nos sentiments.
Pourtant, nos yeux ne laissaient pas la moindre ambiguïté sur ce qui se jouait entre nous .
Tu étais surpris, un peu dépassé par ton désir et cela te rendait encore plus beau.
Souvent, je me mettais devant la fenêtre de la cuisine et je regardais la ville, les immeubles, les grues des chantiers, le petit jardin des deux voisins de la rue d’en face dont nous nous moquions parfois.
J’aime la douceur de la ville en fin de journée.
Le bruit des voitures est toujours plus doux, le soir, lorsque les gens rentrent chez eux.
J’observais le soleil qui s’en allait tandis que tu venais me surprendre en te serrant délicatement contre mon dos et en posant ta tête au creux de mon épaule.
Je respirais lentement cet instant-là.
Encore aujourd’hui, il m’arrive d’y reprendre mon souffle.
Car les moments de plénitude ne meurent pas.
Les êtres qui se séparent peuvent bien choisir l’indifférence, mais l’amour reçu et donné continue de vivre, dans un monde parallèle qui nous survit.
Je mesure ma chance d’avoir réalisé cela grâce à toi.
Voilà pourquoi j’avance, sans regret, sans nostalgie, avec une envie d’aimer plus forte encore.
Maintenant que je sais que c’est possible.
J’attends le moment où je pourrai de nouveau respirer des instants comme ceux-là et y être présent, pleinement.
Sans peur.
Etre heureux.
Comme chez toi … Comme sur la photo…
Alexandre LABORIE