Haïku (1)
Sieste de l'été
La feuille tombe par terre
Les paupières s'ouvrent
« Je ne peux donner de moi, de mon moi tout entier, nul autre échantillon, qu’un système de fragments, parce que je suis moi-même quelque chose de semblable. » Frédéric Schlegel. Passionné de poésie classique et contemporaine, auteur de chansons et de poésies. A de nombreuses reprises, j’ai collaboré avec France musique : participation à une composition littéraire originale de 4 cycles poétiques sur le thème de « la vie » à partir de l’oeuvre 'MLÀDI' du compositeur Leos JANACEK puis lecture de certains de mes textes dans le cadre de l’émission « les contes du jour et de la nuit » de Véronique SAUGER. J’aime travailler avec des artistes aux univers très différents. Avec les musiciens Lucas Mazeres et Guillaume Itié de la « Compagnie Écoutez Voir », j’ai ainsi participé à la création de « la Planète blanche », conte musical dont j’ai écrit le livret. J’ai publié un recueil de poésies en 2010 (L’Evidence - éditions PREtexte). Certains de mes textes ont également l’objet de publications diverses (revue de poésies, ouvrages collectifs des éditions « Épingle à nourrice »). Bienvenue à toutes et à tous!
Sieste de l'été
La feuille tombe par terre
Les paupières s'ouvrent
Je t’envoie un texto pour te dire que j’ai de l’avance à notre rendez-vous.
Tu me réponds que tu auras du retard.
Tu es désolé.
Je t’écris que cela n’est pas grave, je vais me balader.
Je me suis assis près d’un carrousel.
J’observe les enfants.
Il y en a deux en particulier qui se sont installés dans une sorte de toupie.
Ça leur tourne la tête, aux petits.
Ils rient de bon cœur.
Je vois arriver devant moi l’enfant que j’étais.
Il veut monter sur le manège lui aussi.
Rire encore et encore.
Assis sur un banc, j'écris sur mon carnet quelques fragments de phrases que j’attrape à la volée parmi les conversations des passants.
J’aime arrimer au papier ces mots fuyants, ces mots dont le destin se conjugue avec l’instant.
Je colle ces phrases banales entre elles comme pour fixer l’éphémère.
Je reçois ton texto.
Tu viens de sortir de ton appartement.
Tu arrives et souhaite savoir où l’on se retrouve.
Je te réponds que je vais remonter ta rue.
Nous finirons bien par nous rejoindre.
Nous nous installons à la terrasse d’un café.
Deux verres de Chardonnet.
J’aime cette façon que tu as, parfois, d’appuyer ton propos d’un sourire mêlé à un clignement prolongée de tes paupières.
Conversation.
Le japon.
Nos familles
Ibiza
Berlin à Vélo
Restaurant.
Nouvelle terrasse.
Il fait bon et peu de voitures circulent dans la rue.
On se fait goûter nos plats.
Il ne faut pas boire d’eau pour atténuer le feu du piment, me dis-tu.
Pas de dessert.
Nous fumerons chez toi en prenant un thé.
Sur la route, achat de cigarettes au tabac de nuit.
Chez toi.
Les livres, présences rassurantes.
Je m’y dirige, naturellement, instinctivement.
Tu prépares un thé aux feuilles de bambou.
Je regarde tes livres, je te regarde en eux.
Le plateau, sur la petite table du salon, ta main qui saisit la théière pour me servir.
Le thé fumant qui coule dans la tasse.
Nous parlons.
On se tient face à face sur le canapé.
Je pose ma main sur ton bras.
Premier contact.
A ton tour tu caresses le mien.
Nos bouches s’appellent, se goûtent, se dévorent, se quittent le temps d’un regard qui les pousse à nouveau l’une vers l’autre.
Est-ce toujours toi ? Est-ce toujours moi ?
Quelle est cette frontière intérieure qui cède, ce nouveau territoire où nous nous retrouvons ?
Le cliquetis de ma ceinture que tu commences à retirer.
On se serre fort dans les bras
Ta bouche, ta bouche, la seule urgence
Ton tee-shirt que je relève, juste un peu, pour y glisser la main dessous.
La douce chaleur de ta peau que je découvre et que je salue, ému, d’un baiser.
Ta langue, mon seul langage.
Le lit
Nus
Figé, quelques secondes, devant le cadeau de ta beauté.
Je voudrais d’un baiser embrasser tout ton corps.
Connaître et respirer chaque parcelle de ce continent.
Nos mains précèdent nos bouches.
Cet instant sacré du premier regard sur ton sexe.
M’approcher, le regarder, le saisir dans ma bouche et par lui me sentir rempli de toi, de ton désir, de ton histoire.
Comme un rêve de fusion.
Ton plaisir, c’est mon désir.
Lumière éteinte, côte à côte dans le lit, on se tient la main.
A cet instant-là, j’y crois, je me dis que je la tiens, ma belle histoire.
Tu es si tendre.
Dans ma tête, je m’adresse à quelqu’un - Dieu ? Une fée ?– et je lui demande de faire que tout cela soit vrai.
Nuit.
Tu te lèves
Tu n’arrives pas à dormir et vas lire dans le salon.
Tu me manques.
Je reste éveillé jusqu’à ton retour.
Le matin.
Il pleut
Il est tard.
Tu dois rejoindre des amis.
Nous prenons un thé et quelques gâteaux.
Echangeons quelques mots sur les livres qui nous font face.
J’aime ton regard quand tu parles de Julia Kristeva.
Tu me donnes un parapluie.
Quitter un appartement, au petit matin, sous la pluie, après une première nuit passée dans des bras que l’on ne voudrait plus quitter.
Il pleut en moi.
Le parapluie ne sert à rien.
Je t’envoie un texto pour te dire que j’ai aimé ce moment avec toi, que j’espère te revoir.
Les journées passent.
Pas de nouvelles.
Pour ne pas sombrer, je m’oblige à ne plus penser.
Je n’y arrive pas.
Pourquoi ce silence qui me tue.
Je sens que j’oublie ton visage.
Je dois me concentrer pour le retrouver mais ce mouvement semble irrémédiable.
Je veux le retenir, le prendre entre mes mains, mais il se dissout et glisse entre mes doigts.
Comme le sable.
Il y avait en toi une part qui correspondait à mon rêve.
J’écris pour dire que cela a existé, que je l’ai vu.
Sur ce lit, je suis passé.
Un corps parmi d’autres.
Avant. Après
Juste une nuit.
Mon pays provisoire.
Je voudrais te revoir pour connaître la musique que tu avais mise lorsque nous nous sommes embrassés.
Tu me l’avais dit mais j’ai oublié.
Cela ressemblait à du Nina Simone.
C’est comme un coup de poignard.
Soudain, ton regard s’impose à moi.
Il envahit tout mon corps, il devient mon sang.
Je ne peux rien faire d’autre que de l’accueillir.
Ton regard est une blessure.
Mes mots réalisent ce que le temps me refuse.
Dans le bus, je lis quelques lignes mais je n’arrive pas à me concentrer.
Ton visage m’apparaît entre chaque mot.
Les kilomètres défilent et je ne lis que toi
Il n’y a plus de « je », il n’y a plus que toi.
Je n’arrive plus à penser.
C’est la nuit lourde qui pèse sur moi.
La nuit de ton silence.
Au bout d’une semaine, soudain, un mot de toi arrive et je me jette dessus comme un affamé.
Je commence par la fin, je sais que tout est là.
Déçu.
Sourire las.
Je me demande où nous serons, dans vingt ans, dans quelle vie, dans quelles nouvelles habitudes.
Aurons-nous changé ?
Je ne sais pas pourquoi je me demande cela.
Se revoir, mais pourquoi au juste ?
Je ne veux pas terminer ce texte.
Parfois, je me demande où tu es, à cet instant, dans quel lieu, dans quelle pièce.
Dans quels bras.
Je ne sais plus si j’ai envie que tu me rappelles.
J’ai l’impression que tu deviens un souvenir et je me dis que la vie a finalement bien fait les choses, que rien n’aurait été possible entre nous.
Puis, en un éclair, je me dis que je dois écouter cet instinct qui en moi me pousse vers toi.
Je crois que notre rencontre a un sens.
Je me fais peur.
Tu redeviens ma souffrance.
C’est peut-être de l’orgueil.
La difficulté à reconnaître que je me suis trompé.
Un jour, peut-être, je relirai ces lignes et je me demanderai si c’est bien moi qui les aies écrites.
Alexandre LABORIE
Afin de rédiger une nouvelle pour le mensuel « Témoignage Chrétien », l’écrivain Mathieu Simonet (dont j’ai parlé plusieurs fois sur ce blog) a posé la question suivante : « quel souvenir évoque pour vous le bonheur ? »
Il y avait une seule obligation, préciser l’âge que l’on avait à l’époque.
L’article qu’il a rédigé à partir des différentes contributions est paru dans le numéro de juillet-août.
Voici ma contribution :
Le matin encore, je travaillais au bureau.
Exceptionnellement, j’étais parti plus tôt, dans l’après midi, pour récupérer ma fille à la sortie de l’école et faire route jusqu’à l’océan.
J’avais trouvé une belle chambre, bien située, pour ne pas avoir à prendre la voiture de tout le séjour.
A présent, nous marchions tous les deux, sur le front de mer, à la recherche d’un endroit où manger.
J’avais demandé à Flora ce qui lui faisait envie
Moules-frites !
Va pour les Moules-frites, je sais qu’elle aime ça, surtout pour les frites, et puis elle trouve que ça fait vacances !
Durant notre marche, elle m’a demandé si elle pouvait descendre sur la plage, en contrebas, pour courir sur le sable.
Je me suis assis quelques minutes à la regarder.
J’ai saisi mon téléphone portable pour appeler mon amoureux, répondre aux quelques mails professionnels qui s’étaient déjà accumulés depuis mon départ.
J’avais l’impression d’être dans un SAS, en phase de décélération après des mois de travail particulièrement intenses, dans une sorte d’état intermédiaire : physiquement en vacances mais l’esprit encore ailleurs.
Flora est soudain revenue vers moi et m’a demandé de la rejoindre pour jouer à « chat ».
J’ai couru avec elle sur la plage.
Son rire faisait plaisir à entendre, un rire sans retenue, le rire du cœur, de l’enfance.
Quand je finissais par l’attraper, elle poussait un cri strident et se remettait aussitôt à courir.
Sa course dessinait des sourires sur le sable.
Au bout de quelques minutes, nous avons repris notre marche et trouvé un restaurant.
J’ai commandé l’apéritif : un verre de vin pour moi, un jus de pomme pour elle.
Assis à notre table, en terrasse, j’observais Zanzibar le jongleur qui préparait ses diabolos, ses torches, son échelle pour son spectacle qui était prévu d’ici une heure, sur la place, en face de la jetée lorsque la nuit serait définitivement installée.
Le serveur est revenu avec notre commande.
J’ai levé mon verre et je l’ai tendu vers Flora.
Elle a fait de même.
Ses yeux brillaient de joie.
Elle a fixé mon regard en me disant: « à la vie, à notre bonheur ».
Ses mots m’ont ramené à l’instant présent.
J’étais heureux de la voir heureuse.
J’ai compris que les vacances venaient vraiment de commencer.
C’était l’été dernier.
J’avais 37 ans et elle 7.
Alexandre LABORIE