Vital
J’écris sur cette feuille pour lancer quelque chose en direction de quelqu’un.
Une chose que je ne connais pas, quelqu’un que je ne connais pas.
Pourtant j’écris, si je n’aligne pas ces mots, je sais ce qui m’attend.
Ce vide qui appelle le vide, ce vertige de la voix perdue, de ce monde bloqué dans la gorge, aussi violent que l'indifférence.
Il y a mon reflet dans ce miroir et ce rictus sur mes lèvres, esquisse d'une lucidité froide.
L’insaisissable soudain saisi.
Le souvenir des nuits d’amour (mais était-ce de l’amour ?) que je poursuis le jour venu, le temps qui passe, cette obscurité brute chargée de renoncements, de lâchetés, cet autre qui n’est autre que moi, tous ces masques soudain enlevés, en même temps.
J’écris dans cette seconde-là, celle du dévoilement, et je le fais pour des raisons parallèles et contradictoires : je regarde en face autant que je fuis, je garde autant que j’oublie.
Je plonge façon mineur dans mes désordres majeurs et mon stylo arrache un charbon que je brûle au feu de cette page.
Ecrire dans cette seconde pour en trouver une autre plus sereine.
Se droguer à ce rituel, à cette hésitation, à ce moment que je sais inéluctable et que je joue à repousser pour me faire peur, à ces couloirs sur les côtés, que j’emprunte en attendant, comme autant d’impasses choisies et assumées.
Se droguer à cette peur et finir par la combattre.
Ecrire, ma seule certitude en réalité.
Mais une certitude cachée, une lumière fragile mais fidèle qu’il faut extraire des obscurités qui me composent.
J’écris, j’aligne mes mots qui n’ont rien d’aligné, je sais, je sens la chaleur de ce sang qui se renouvelle au fil des
phrases, cette mâchoire qui se desserre, autorisé par cet élan, je gagne mon petit répit, mon droit à pouvoir rester ensuite à observer le monde comme halluciné par ce qu’il me révèle.
L’écriture est autant la jouissance de la possibilité de la route que la jouissance de la route elle même.
Les combats intérieurs, les révoltes éternelles, ces visages et ces corps imprimés à jamais, les images émouvantes d’une mémoire retrouvée et toutes ces immensités que je voudrais saisir dans mes bras sont la sève de cet élan.
Pour atteindre cette seconde, celle d’un souffle supplémentaire et provisoire.
Vital.
Alexandre LABORIE