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Fragments - Alexandre LABORIE

recits

Instinct paternel

4 Octobre 2011, 21:54pm

Publié par laborie.fragments

Le bateau va couler.

Il est composé, en son cœur, de 16 compartiments étanches.

Comme les 4 précédents, le 5ème compartiment vient d’être inondé.

Or, quand le capitaine a fait venir le constructeur du paquebot dans sa cabine et qu’il lui a demandé son analyse de la situation, celui ci a été catégorique : « tout dépend du 5ème SAS, s’il cède, nous coulons ».

A l’intérieur, l’information circule mal.

Toutes sortes de rumeurs commencent à se propager.

Les responsables d’étages font le tour des cabines et invitent les passagers à se rendre sur le pont.

Ils parlent d’un exercice d’évacuation.

Pourtant, certains signes ne trompent pas.

Miss Elisabeth Dowdell, immobile dans son bain, voit l’eau pencher vers le bout de sa baignoire.

Elle ne connaît pas grand chose à la physique, mais elle a retenu que la surface de l’eau reste toujours parallèle au sol.

C’est donc le bateau qui s'incline vers l’avant.

Elisabeth est une nurse.

Elle s’occupe d’une petite fille de 6 ans et demi, Virginie.

La maman de l'enfant , Mrs Estelle Emanuel, est une chanteuse d’opéra.

Elle est malade, gravement.

Mais elle souhaite rester en Angleterre pour honorer jusqu’au bout son dernier contrat.

Elle chantera tant qu’elle en aura la force.

La maman sait qu'elle va mourir et elle ne veut pas que sa fille soit là quand ça arrivera.

D’un commun accord avec le père, elle a donc décidé de confier la garde de sa fille à ses grands parents, Mrs.et Mr.Wheil, qui vivent dans le quartier de Manhattan, à New York.

Et, tout naturellement, c’est Elisabeth, la nurse, qui a été chargée de l'accompagner pour cette traversée de l’Atlantique …

 

Assis devant ma télévision, je regarde ce documentaire.

J'essaie de concevoir l'inconcevable :

Comment dit-on adieu à son enfant ?

Quels gestes, quels mots a prononcé la mère avant que sa fille monte dans le train qui allait la conduire jusqu’à Southampton où Elisabeth et elle embarqueraient ?

J’imagine l’étreinte, forte, très forte.

Un « je t’aime » répété inlassablement.

Et le fol espoir que tout ce concentré d’amour, dit en quelques secondes, ne quittera jamais Virginie, qu’il s’imprimera dans sa mémoire, son inconscient comme une source inépuisable vers laquelle elle pourra revenir tout au long de sa vie, pour s’y désaltérer.

 

Sur le paquebot, il fait de plus en plus froid.

L’eau glaciale, tel un virus sournois, envahit la moindre veine d’acier du mastodonte.

Elisabeth n’a pas d’autre choix: Il faut réveiller la petite ! …

En voyant, en gros plan, l’enfant qui dort, je pense immédiatement à la mienne.

Et lorsqu’Elisabeth quitte sa cabine, un peu affolée, en tenant la petite à la main, à la recherche d’un accès aux ponts supérieurs, je me surprends à ressentir l’angoisse qu’elle doit éprouver à cet instant-là.

Dans les couloirs, c’est la cohue, les cris, la panique.

Le ventre du paquebot est un labyrinthe où tous les longs couloirs se ressemblent et il est compliqué d’y retrouver son chemin.

Tout à coup, la camera montre Elisabeth désemparée, immobile, au milieu de la foule incontrôlable.

Virginie ne lui tient plus la main.

Elle a disparu.

Je me redresse sur mon canapé.

Coup de poing dans mon ventre !

Elizabeth, affolée, demande autour d’elle si quelqu’un a vu une petite fille, mais la marée humaine continue de progresser, personne n’a le temps de se retourner ni de lui répondre.

La foule aperçoit soudain un escalier et s’y presse dans l’espoir de grimper d’un étage.

Elisabeth la suit en criant le nom de Virginie.

 

Alors qu’elle s’engage pour atteindre la première marche, un homme ferme violemment une grille devant elle.

Devant l’incrédulité et la rage d’Elisabeth, il se contente de lui dire de se calmer, qu’il faut réguler la foule, que l’on viendra la chercher...

Elle donne la description de sa fille mais l’homme ne réagit pas.

Ceux qui n’ont pas pu franchir la grille partent à la recherche d’une autre issue.

Elisabeth ne sait plus quoi faire.

Elle tente de revenir en arrière.

Dans les couloirs désormais déserts, le silence cohabite avec le bruit  métallique de la pression de l’eau.

Elisabeth erre, hagarde, et j’ai mal pour elle, j’ai mal avec elle.

Maintenant, c’est moi qui suis dans ce couloir, perdu, désemparé.

Quand Elisabeth finit par trouver une issue où la grille n’avait pas été fermée, je cours, à ses côtés, enjambant trois marches à la fois pour arriver plus vite sur le pont où « les femmes et les enfants d’abord » se pressent dans les canots de sauvetage pas assez nombreux.

Depuis le pont du paquebot, elle aperçoit, dans l’un des canots  qui descendent vers la mer, sa petite Virginie, bien vivante.

Comme il est trop dangereux de remonter le canot surchargé, on lui propose de sauter depuis le pont, ce qu’elle fait.

 

Devant ma télévision, je prends soudain conscience de mes émotions.

Ce documentaire, suivi au départ sans grande conviction, a su toucher mon cœur de papa.

Cette peur panique, ce « ouf » de soulagement final, toutes ces émotions, je les partage.

Ce sont celles qui naissent aussi au plus profond de mon ventre, lorsqu'il s'agit de mon enfant.

C'est la bouffée d’amour qui me saisit soudain et paralyse mon regard quand je l’observe parfois en train de jouer, de parler, de dormir.

C'est la douleur inquiète quand je pense à demain et joue à me faire peur.

Quand des questions coupantes comme des lames pleuvent à l'intérieur de mon crâne.

C'est un instinct, une force, qui, je le sens, me donneraient le courage nécessaire de me battre contre le monde entier, pour elle, s’il le fallait.

 

J’ai aimé cette histoire qui finit bien, au milieu d’une autre, plus grande, qui finit mal.

Miss Elisabeth Dowdell est finalement arrivée à New-York.

Elle a accompli sa mission : Virginie a été confiée à ses grands parents.

Mrs Estelle Emmanuel a du être bouleversée en apprenant le naufrage.

A-t-elle saisi son ventre, lourd de douleur, ou a-t-elle eu de suite la certitude que son enfant allait survivre ?

Je ne le sais pas.

J’ai juste envie de croire qu’en apprenant le sauvetage de sa fille, elle a trouvé la force de terminer sa tournée et qu’elle lui a dédié ses derniers éclats de voix.

 

Alexandre LABORIE

 

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L'heure bleue

6 Août 2011, 00:40am

Publié par laborie.fragments

L’oubli était inévitable.

Dès le début, je le savais.

Ou plutôt la fin.

La fin de ce séjour Marocain.

J’avais gravé toutes les photos sur un CD que je n’ai jamais retrouvé.

Je ne dois donc compter que sur ma mémoire.

Mais celle-ci a du mal avec les paysages, elle préfère les odeurs et les corps.

Une silhouette dans le tableau et c’est l’assurance que mon cœur imprime mieux.

Ce matin, dans l’avion, j’ai rêvé que j’avais 90 ans, l’âge de mon grand-père et que je retrouvais le CD.

Et, à l’heure où j’écris ces lignes, un peu serré dans ce café de l’aéroport Schiphol d’Amsterdam où je ne fais que passer, j’observe derrière la vitre un large panneau d’affichage incitant les voyageurs à se rendre à Essaouira.

Je ne me souviens pas avoir écrit là bas.

Je pensai au conte musical « la planète blanche », j’écrivais dans ma tête les premières chansons.

Mais sur Essaouira, rien.

Et c’est aujourd’hui que l’envie me prend grâce à un rêve et une affiche.

Et grâce à toi aussi dont le sourire et l’accent m’ont ramenés à cette terre.

Je me concentre sur mon petit cahier noir et j’essaie de voler à l’oubli quelques images.

Et ce que je vois d’abord, ce sont des bateaux imposants,  sur le port où je venais tous les jours, le matin, très tôt.

Je pense que le temps qui a passé les a rendus plus grands qu’ils n’étaient.

De larges bateaux, forts et fragiles à la fois.

Des bateaux en bois.

Ils semblaient d’un autre temps.

Il faisait sombre entre eux et je paraissais tout petit.

Mais j’aimais l’effervescence tout autour.

Voir surgir un jeune pêcheur, souple, bondissant d’une petite barque pour atteindre le quai puis escaladant comme un félin le côté du bateau pour se retrouver juché sur la proue en quelques secondes.

Cette image me revient et je souris comme un enfant, fier de l’avoir sauvé en la notant sur mon carnet.

Mais très vite, j’abandonne cette recherche d’images disparues car c’est la tienne qui vient s’imposer.

Toi qui m’a accompagné dans la médina,  au souk Jdid, dans le slalom nonchalant et électriques de cette après-midi là, entre les pyramides colorés d’épices, les marchés de céréales, de poissons.

Tu te souviens ?

Nous avions remarqué que chaque rue avait un parfum d’épice différent : curcuma, ras el hanout, cannelle, paprika.

Et le vieil homme que nous avions rencontré dans ce tout petit magasin à l’écart de l’agitation touristique ?

Les murs de sa boutique étaient couverts d’étagères sur lesquelles  se trouvaient des centaines de bocaux remplis d’herbes et de plantes dont il nous vantait les bienfaits pour la santé.

Je crois me souvenir de la fleur d’hibiscus, faudra que je vérifie.

En fin d’après midi, nous étions allés nous promener sur les remparts.

Les alizés venaient caresser les pierres ocres et rouges et lançaient sur nos visages quelques éclats d’océan qui se mêlaient à notre sueur.

Fiers sous le vent, nous avons longés les quelques canons dirigés vers l’horizon.

Arrivés à un des angles de la forteresse, juste au dessus de la falaise, tu as voulu que nous nous asseyions

Comme cette sqala qui entoure et protège la ville, tu as mis ton bras autour de mes épaules.

C’était l’heure bleue…

Ta peau, lorsque tu m’as embrassé, avait l’odeur raffinée et obsédante du bois de thuya que l’on sculpte dans cette région.

Cette odeur se mélangeait à l’ambre qui parfumait ton tee-shirt.

La nuit s’est installée doucement.

Derrière nous, sur le grand mur en pierre, quelques fenêtres étaient ouvertes.

Nous distinguions des ombres, entendions des rires étouffés.

Le temps semblait séduit par la douceur qui se répandait dans chaque rue.

Il lui donnait sa chance, s’arrêtait un peu pour elle.

De l’une des fenêtres, une musique s’est soudain échappée.

Tu m’as dit que tu trouvais cela très beau.

C’était du saxophone, un tempo très lent.

Sidney Bechet, interprétant « what is this thing called love ? »

Cela, comment pourrais-je l’oublier?

 

Alexandre LABORIE

Août 2011

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