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Fragments - Alexandre LABORIE

Pierre et Paul sur la voie du martyre, Giovanni Serodine.

26 Septembre 2013, 09:42am

Publié par laborie.fragments

Giovanni Serodine - Parting of Sts Peter and Paul Led to MaSoit le tableau de Serodine, conservé à la Galerie nationale d’art antique de Rome, qui représente la rencontre des apôtres Pierre et Paul sur la voie du martyre.

Comme on peut le voir, les deux saints, au centre du tableau, sont encerclés par la gesticulation des soldats et des bourreaux qui les conduisent au supplice.

Les critiques ont souvent souligné le contraste formé par la rigueur héroïque des deux apôtres et le remue-ménage de la foule, éclairée ça et là par des taches de lumière qui éclaboussent comme au hasard les bras, les visages et les trompettes.

Pour ce qui me concerne, je considère que ce qui rend cette peinture proprement incomparable, c’est que les deux apôtres sont tellement rapprochés par Serodine, avec leurs fronts presque collés l’un contre l’autre, qu’ils ne peuvent absolument pas se voir. Sur la voie du martyre, ils se regardent sans se reconnaître.

Cette impression d’une proximité pour ainsi dire excessive est renforcée par le geste silencieux des mains qui, en bas de l’image, à peine visibles, se serrent.

Il m’a toujours semblé que ce tableau contenait une allégorie parfaite de l’amitié.

Qu’est-ce, en effet, que l’amitié, sinon une proximité telle qu’on ne peut s’en faire ni une représentation, ni un concept ?

Reconnaître quelqu’un comme ami signifie ne pas pouvoir le reconnaître comme « quelque chose ».

On ne peut pas dire « ami » comme on dit « blanc », « italien », « chaud » - l’amitié n’est pas la propriété ou la qualité d’un sujet ».

Giorgio Agamben (L’amitié - Rivages poche/Petite bibliothèque).

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Haïku (1)

23 Août 2013, 22:42pm

Publié par laborie.fragments

Sieste de l'été

La feuille tombe par terre

Les paupières s'ouvrent

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Pays provisoire

21 Août 2013, 22:57pm

Publié par laborie.fragments

 

 

Je t’envoie un texto pour te dire que j’ai de l’avance à notre rendez-vous.

Tu me réponds que tu auras du retard.

Tu es désolé.

Je t’écris que cela n’est pas grave, je vais me balader.

 

Je me suis assis près d’un carrousel.

J’observe les enfants.

Il y en a deux en particulier qui se sont installés dans une sorte de toupie.

Ça leur tourne la tête, aux petits.

Ils rient de bon cœur.

 

Je vois arriver devant moi l’enfant que j’étais.

Il veut monter sur le manège lui aussi.

Rire encore et encore.

 

Assis sur un banc, j'écris sur mon carnet quelques fragments de phrases que j’attrape à la volée parmi les conversations des passants.

J’aime arrimer au papier ces mots fuyants, ces mots dont le destin se conjugue avec l’instant.

Je colle ces phrases banales entre elles comme pour fixer l’éphémère.

 

Je reçois ton texto.

Tu viens de sortir de ton appartement.

Tu arrives et souhaite savoir où l’on se retrouve.

Je te réponds que je vais remonter ta rue.

Nous finirons bien par nous rejoindre.

 

Nous nous installons à la terrasse d’un café.

Deux verres de Chardonnet.

 

J’aime cette façon que tu as, parfois, d’appuyer ton propos d’un sourire mêlé à un clignement prolongée de tes paupières.

 

Conversation.

Le japon.

Nos familles

Ibiza

Berlin à Vélo

 

Restaurant.

Nouvelle terrasse.

Il fait bon et peu de voitures circulent dans la rue.

 

On se fait goûter nos plats.

Il ne faut pas boire d’eau pour atténuer le feu du piment, me dis-tu.

 

 

Pas de dessert.

Nous fumerons chez toi en prenant un thé.

Sur la route, achat de cigarettes au tabac de nuit.

 

Chez toi.

Les livres, présences rassurantes.

Je m’y dirige, naturellement, instinctivement.

 

Tu prépares un thé aux feuilles de bambou.

 

Je regarde tes livres, je te regarde en eux.

 

Le plateau, sur la petite table du salon, ta main qui saisit la théière pour me servir.

Le thé fumant qui coule dans la tasse.

 

Nous parlons.

 

On se tient face à face sur le canapé.

Je pose ma main sur ton bras.

Premier contact.

A ton tour tu caresses le mien.

 

Nos bouches s’appellent, se goûtent, se dévorent, se quittent le temps d’un regard qui les pousse à nouveau l’une vers l’autre.

 

Est-ce toujours toi ? Est-ce toujours moi ?

Quelle est cette frontière intérieure qui cède, ce nouveau territoire où nous nous retrouvons ?

 

Le cliquetis de ma ceinture que tu commences à retirer.

 

On se serre fort dans les bras

 

Ta bouche, ta bouche, la seule urgence

 

Ton tee-shirt que je relève, juste un peu, pour y glisser la main dessous.

La douce chaleur de ta peau que je découvre et que je salue, ému, d’un baiser.

 

Ta langue, mon seul langage.

 

Le lit

Nus

Figé, quelques secondes, devant le cadeau de ta beauté.

Je voudrais d’un baiser embrasser tout ton corps.

Connaître et respirer chaque parcelle de ce continent.

 

Nos mains précèdent nos bouches.

 

Cet instant sacré du premier regard sur ton sexe.

 

 

M’approcher, le regarder, le saisir dans ma bouche et par lui me sentir rempli de toi, de ton désir, de ton histoire.

 

Comme un rêve de fusion.

 

Ton plaisir, c’est mon désir.

 

Lumière éteinte, côte à côte dans le lit, on se tient la main.

A cet instant-là, j’y crois, je me dis que je la tiens, ma belle histoire.

 

Tu es si tendre.

 

Dans ma tête, je m’adresse à quelqu’un  - Dieu ? Une fée ?– et je lui demande de faire que tout cela soit vrai.

 

Nuit.

Tu te lèves

Tu n’arrives pas à dormir et vas lire dans le salon.

Tu me manques.

Je reste éveillé jusqu’à ton retour.

 

Le matin.

Il pleut

Il est tard.

Tu dois rejoindre des amis.

Nous prenons un thé et quelques gâteaux.

Echangeons quelques mots sur les livres qui nous font face.

 

J’aime ton regard quand tu parles de Julia Kristeva.

 

Tu me donnes un parapluie.

 

Quitter un appartement, au petit matin, sous la pluie, après une première nuit passée dans des bras que l’on ne voudrait plus quitter.

 

Il pleut en moi.

Le parapluie ne sert à rien.

 

Je t’envoie un texto pour te dire que j’ai aimé ce moment avec toi, que j’espère te revoir.

 

Les journées passent.

Pas de nouvelles.

 

Pour ne pas sombrer, je m’oblige à ne plus penser.

 

Je n’y arrive pas.

 

Pourquoi ce silence qui me tue.

 

Je sens que j’oublie ton visage.

Je dois me concentrer pour le retrouver mais ce mouvement semble irrémédiable.

Je veux le retenir, le prendre entre mes mains, mais il se dissout et glisse entre mes doigts.

Comme le sable.

 

Il y avait en toi une part qui correspondait à mon rêve.

 

J’écris pour dire que cela a existé, que je l’ai vu.

 

Sur ce lit, je suis passé.

Un corps parmi d’autres.

Avant. Après

Juste une nuit.

Mon pays provisoire.

 

Je voudrais te revoir pour connaître la musique que tu avais mise lorsque nous nous sommes embrassés.

Tu me l’avais dit mais j’ai oublié.

Cela ressemblait à du Nina Simone.

 

C’est comme un coup de poignard.

Soudain, ton regard s’impose à moi.

Il envahit tout mon corps, il devient mon sang.

Je ne peux rien faire d’autre que de l’accueillir.

Ton regard est une blessure.

 

Mes mots réalisent ce que le temps me refuse.

 

Dans le bus, je lis quelques lignes mais je n’arrive pas à me concentrer.

Ton visage m’apparaît entre chaque mot.

Les kilomètres défilent et je ne lis que toi

 

Il n’y a plus de « je », il n’y a plus que toi.

 

Je n’arrive plus à penser.

C’est la nuit lourde qui pèse sur moi.

La nuit de ton silence.

 

Au bout d’une semaine, soudain, un mot de toi arrive et je me jette dessus comme un affamé.

Je commence par la fin, je sais que tout est là.

 

Déçu.

Sourire las.

 

Je me demande où nous serons, dans vingt ans, dans quelle vie, dans quelles nouvelles habitudes.

Aurons-nous changé ?

Je ne sais pas pourquoi je me demande cela.

 

Se revoir, mais pourquoi au juste ?

 

Je ne veux pas terminer ce texte.

 

Parfois, je me demande où tu es, à cet instant, dans quel lieu, dans quelle pièce.

Dans quels bras.

 

Je ne sais plus si j’ai envie que tu me rappelles.

 

J’ai l’impression que tu deviens un souvenir et je me dis que la vie a finalement bien fait les choses, que rien n’aurait été possible entre nous.

 

Puis, en un éclair, je me dis que je dois écouter cet instinct qui en moi me pousse vers toi.

 

Je crois que notre rencontre a un sens.

 

Je me fais peur.

 

Tu redeviens ma souffrance.

 

C’est peut-être de l’orgueil.

 

La difficulté à reconnaître que je me suis trompé.

 

Un jour, peut-être, je relirai ces lignes et je me demanderai si c’est bien moi qui les aies écrites.

 

Alexandre LABORIE

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