Fragments (extrait n°8)
La traversée
Trois heures du matin, je me lève et réveille
Ma femme et mes enfants, c’est l’heure du départ
Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, comme en veille
Assaillis de questions, crainte d’être en retard
L’homme nous a donné rendez-vous à cinq heures
Au pied de la montagne, à la petite crique
Surtout, soyez discrets, ne faites pas d’erreur
Prenez le minimum, n’oubliez pas le fric
Je devine la plage à quelques encablures
Et lorsque je m’approche une foule impatiente
Fait monter vers les cimes un tragique murmure
Sous mon regard saisis, la peur phosphorescente
Le bateau attendu n’est qu’une vieille barque
Fragile, à la merci des vagues déchaînées
Une voix lance un ordre, alors on nous embarque
Dans nos yeux éperdus, nos vies déracinées
La mer est agitée, le silence incertain
Brisé par le crachat du moteur obsédant
Par le violent orage qui tonne au lointain
Et les cris quand les flots s’abîment en dedans
A cette heure, ils ont dû détruire ma maison
Effacer toute trace, et moi où vais-je donc ?
L’air que nous respirons n’a pas plus de frontière
Que la douleur des hommes ou leur soif de lumière.
Malgré tous les dangers, si mes enfants arrivent
Dans un de ces pays, trouveront-ils une âme
Qui saura comprendre, plutôt que l’invective
De ces cœurs étriqués de haine et d’amalgames.
Alexandre LABORIE